Au Québec, l'essentiel du processus de laïcisation des institutions communes a été accompli avec la Révolution tranquille, sauf pour la laïcisation des réseaux scolaires qui ne sera complétée qu'avec la fin de l'application de la clause dérogatoire en septembre 2008 ce qui entraînera la disparition de l'enseignement religieux dans les écoles publiques. Cette dernière étape de la laïcisation devenait urgente à accomplir car elle offrait un précédent sur lequel les groupes religieux autres que catholique et protestant auraient voulu s'appuyer pour réclamer une présence similaire dans les écoles publiques qui auraient eu du mal à gérer la multiplication des religions nouvelles et des religions traditionnelles. La laïcisation des écoles devenait la seule solution démocratique qui puisse garantir l'accès universel à une éducation publique en évitant la création d'écoles qui seraient devenues des ghettos confessionnels.
À la lumière de cet exemple récent, le MLQ insiste sur l'importance de travailler à compléter au plus vite la laïcisation de toutes les institutions communes, des lois (ex. le code criminel prévoit 2 ans de prison pour libelle blasphématoire), voire même de la constitution canadienne (le premier attendu de la loi constitutionnelle de 1981 proclame la suprématie de Dieu en regard de la primauté du droit) ; ceci afin de ne pas laisser en place des archaïsmes oubliés qui pourraient ensuite être cités par des militants fondamentalistes ou extrémistes pour justifier un retour du religieux dans les institutions communes.
La position du MLQ devrait normalement résulter en deux priorités d'actions :
* réclamer la reconnaissance officielle de la laïcité institutionnelle
* exiger une réforme en profondeur du droit de manière à faire disparaître tout référent religieux
2) Les requêtes d'accommodement de nature religieuse ne sont pas recevables
Nous avons établi la nécessité de garantir la laïcité des institutions communes pour les sociétés modernes et démocratiques. Ceci étant acquis, nous considérons qu'il est désormais impossible de faire marche arrière et d'accepter de modifier des règles communes fondées sur les principes rationnels que sont le respect de la dignité humaine, la quête du bonheur, la sécurité et l'utilité publique, en réintroduisant l'arbitraire religieux dans les domaines de la santé, de la science, de la justice ou de l'éducation.
De plus, les demandes d'accommodements fondées sur des croyances religieuses sont, par définition, impossibles à satisfaire puisque le caractère essentiellement intangible et indémontrable des croyances religieuses fait en sorte que ces croyances ne connaissent pas de limites dans l'extrapolation métaphysique. Les demandes à caractère religieux atteignent rapidement les limites de l'absurde pour quiconque ne partage pas ces croyances et par conséquent les accommodements en matière de religion s'avèrent rapidement ingérables. Les accommodements raisonnables en matière de religion sont en quelque sorte des contradictions dans les termes puisque que ces accommodements ne sont pas justifiés par des principes rationnels. Voilà pourquoi les demandes d'accommodement en matière de religion ne sont tout simplement pas recevables pour les institutions communes des sociétés modernes et démocratiques.
Par opposition, les demandes d'accommodement fondées sur le respect de la dignité humaine, la quête du bonheur, la sécurité et l'utilité publique (pour des handicapés ou de jeunes mères monoparentales par exemple) peuvent mener à des accommodements raisonnables puisqu'elles font référence à des situations vécues que tous les humains pourraient expérimenter aisément et pour lesquels des experts peuvent apporter leur contribution scientifique.
La laïcité nous permet de limiter nos délibérations à ce qui est humainement accessible et nous pouvons ainsi espérer trouver un terrain d'entente mutuelle malgré des convictions religieuses divergentes qui devront, en contrepartie, être circonscrites au domaine de la vie privée.
En conséquence, le MLQ considère que la décision du tribunal des droits de la personne dans l'affaire de la salle de prière à l'École de Technologie Supérieure (ETS), ainsi que la décision de la Cour suprême du Canada sur le port du kirpan, ont été des erreurs en ce sens que ces décisions ont fait en sorte que des principes religieux (irrationnels) ont eu préséance sur des principes rationnels (saine gestion institutionnelle, sécurité) et que ces deux instances auraient pu tout à fait légitimement considérer ces demandes comme irrecevables et refuser de se prononcer dans ces affaires.
Le MLQ tient aussi à rappeler l'extrême importance des conséquences des jugements des cours supérieures. Ces jugements sont très intimidants pour les gestionnaires d'institutions similaires. (Nous pourrions citer en exemple les gestionnaires du YMCA qui, sans obligations légales aucune d'accommoder une communauté religieuse dont l'établissement est voisin du sien, ont fait changer les vitres d'un gymnase, probablement par crainte que des poursuites similaires à celles de l'ETS ne soient entreprises. Crainte injustifiée, certes, mais renforcée par le message puissant envoyé par les jugements récents des cours supérieures.)
Les jugements font autorité et acquièrent rapidement valeur de principe. Les responsables d'établissements publics et privés ont tous le réflexe d'extrapoler à partir de ces jugements car c'est le propre des principes que de s'appliquer ensuite partout de manière similaire.
3) La société civile n'a pas à prendre en charge les choix de conscience individuels en matière de religion
La comparaison entre accommodement pour handicap physique et accommodement pour raison religieuse est fallacieuse car l'handicapé n'a pas choisi ou désiré son handicap. C'est justice que la société fasse un effort pour rétablir l'égalité dans les cas d'inégalités naturelles. Dans le cas d'une pratique religieuse, la personne impliquée a la possibilité de faire des choix. Elle peut faire le choix de renoncer à sa religion (apostasie) ou de renoncer à sa participation sociale (vie monacale) si l'un et l'autre sont totalement incompatibles. Elle peut aussi choisir de faire des compromis religieux qui lui permettront de rencontrer les objectifs particuliers de sa religion ET de ses obligations sociales. Il s'agit sans doute de choix difficiles à faire en conscience mais ce sont des choix intimes et personnels qui appartiennent à cette personne. Elle doit avoir le courage d'assumer ces choix. La société ne doit pas les assumer à sa place en multipliant les exceptions qui risquent de rendre les institutions inopérantes.
La personne qui est déchirée entre ses croyances et ses obligations sociales a aussi la responsabilité de partager ses soucis avec ses coreligionnaires et d'exiger que des réformes ou des accommodements soient faits au sein de sa propre communauté religieuse. Certaines religions se sont adaptées aux exigences de la modernité et de la laïcité ; les pratiquants doivent assumer les responsabilités qui découlent des contraintes qu'ils choisissent de se donner en adoptant des rituels contraignants au regard de la société civile laïque.
De manière similaire, toute personne qui désire oeuvrer au sein des institutions communes laïques doit faire abnégation de son droit à la liberté d'expression religieuse et faire passer la représentation de l'autorité et de la neutralité de sa fonction avant ses droits personnels. Ce genre d'abnégation de certains droits personnels en regard des nécessités de la fonction est courant dans les services publics. Les médecins et les infirmières font passer le bien-être des patients avant leur bien être personnel en acceptant de travailler la nuit ou lors des congés fériés. De même les soldats, les policiers, les pompiers et les ambulanciers font passer la sécurité du public avant leur sécurité personnelle sinon leurs métiers respectifs perdraient tout leur sens. Ce faisant, ils renoncent volontairement à certains droits fondamentaux personnels pour se rendre aptes à exercer la mission qui leur a été confiée par la société.
Nous pourrions aussi citer en exemple les enseignants qui renoncent à leur liberté d'expression pour ne pas abuser de l'autorité dont ils disposent devant leurs élèves. Il n'est donc pas rare que des individus renoncent volontairement à certains droits garantis dans les chartes pour se rendre aptes à exercer leur fonction au sein des institutions communes.
En conséquence, le MLQ considère que la décision de la Cour suprême du Canada autorisant le port du turban sikh dans la GRC a été une erreur dont la conséquence directe sera d'affaiblir l'autorité associée à l'obligation d'apparence de neutralité de la fonction de policier. Les juges de la cour suprême, contraints au devoir de réserve, auraient dû être les premiers citoyens à se souvenir que certaines fonctions impliquent l'abnégation.
Le MLQ veut ici surtout dénoncer l'effet pervers des décisions de cours qui, loin d'atténuer le phénomène de multiplication des demandes d'accommodement religieux, aura au contraire contribué à accentuer ce phénomène par une série de décisions favorables aux accommodements religieux. Ceux-ci risquent de devenir plus faciles à obtenir que d'autres types d'accommodements fondés sur des besoins sociaux, tout aussi, sinon plus légitimes quant aux droits humains, que ne le sont certains soi-disant droits religieux.